Le problème

Chaque seconde, l’équivalent d’un salaire annuel d’infirmier échappe aux États pour se retrouver dans des paradis fiscaux. Partout dans le monde, les abus fiscaux coûtent chaque année aux gouvernements plus de 427 milliards de dollars américains. Ces pertes fiscales sont particulièrement dommageables pour les pays à revenu faible, qui perdent chaque année l’équivalent de la moitié de leurs budgets publics combinés dans le domaine de la santé en raison de la fraude fiscale mondiale. Sur les 427 milliards de dollars d’impôts perdus chaque année, plus de la moitié, soit 245 milliards, sont directement liés à la fraude transfrontalière des multinationales à l’impôt sur les sociétés. 

L’Indice des paradis fiscaux pour les sociétés procède à une analyse minutieuse du système fiscal et financier de chaque juridiction afin d’identifier les territoires les plus propices à la fraude à l’impôt sur les sociétés des multinationales et mettre en évidence les lois et les niches fiscales auxquelles les décideurs peuvent remédier afin d’empêcher les multinationales de poursuivre leurs abus.

Le Réseau pour la justice fiscale estime que nos systèmes fiscaux et financiers sont les outils les plus puissants dont nous disposons pour créer des sociétés justes, qui donnent un poids égal aux besoins de chacun. Toutefois, sous la pression des géants de l’industrie et des super-riches, certains gouvernements ont programmé leurs systèmes fiscaux et financiers qui sont devenus des instruments aux mains des multinationales, leur permettant de puiser des richesses dans le monde entier et de payer moins d’impôts par ailleurs. Ce qui alimente les inégalités, favorise la corruption et fragilise la démocratie. Pour remédier à cette injustice, les systèmes fiscaux et financiers nationaux doivent être reprogrammés afin de donner priorité aux besoins de tous les membres de la société, et non aux aspirations des sociétés et des individus les plus riches.

Principales problématiques mises en lumière par l’Indice en 2021

Les pays de l’OCDE sont responsables de plus des deux tiers des risques de fraude à l’impôt 

Selon l’Indice 2021 des paradis fiscaux pour les sociétés, les pays membres de l’OCDE, principal organisme mondial de réglementation de la fiscalité internationale, et leurs dépendances sont collectivement responsables de 68 % des risques de fraude à l’impôt sur les sociétés dans le monde. Si l’on décompose les données, les pays de l’OCDE sont directement responsables de 39 % des risques d’abus à l’impôt sur les sociétés dans le monde et leurs dépendances – comme Jersey, dépendance de la Couronne britannique et Aruba, dépendance des Pays-Bas – représentent 29 %.

Cet indice montre comment les règles mondiales en matière d’impôt sur les sociétés établies par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) n’ont pas permis de détecter et de prévenir les abus à l’impôt sur les sociétés facilités par les pays membres de l’OCDE eux-mêmes et, dans certains cas, ont incité des pays à revenir sur leur transparence fiscale.

Les six premières juridictions classées à l’Indice 2021 des paradis fiscaux pour les sociétés sont soit des pays membres de l’OCDE, soit des dépendances de ces pays. Il s’agit, par ordre décroissant, des Îles Vierges britanniques, des Îles Caïmans et des Bermudes – trois territoires britanniques d’outre-mer où le gouvernement du Royaume-Uni dispose des pleins pouvoirs pour imposer ou opposer son veto au processus législatif et où le pouvoir de nommer les principaux responsables gouvernementaux incombe à la Couronne britannique – des Pays-Bas, de la Suisse et du Luxembourg.

Comme l’indique l’étude Justice fiscale : État des lieux 2020 du TJN, les pays de l’OCDE et leurs dépendances coûtent au monde plus de 166 milliards de dollars de pertes en recettes fiscales sur les sociétés chaque année – soit l’équivalent de plus de 26 millions de salaires annuels d’infirmiers ou de 50 salaires annuels d’infirmiers par minute.

Pour l’OCDE, la quasi-totalité des pays favorisant l’abus à l’impôt sur les sociétés sont considérés comme « non dommageables »

Une analyse de la politique phare de l’OCDE à l’encontre des juridictions qui favorisent les pratiques fiscales dommageables a révélé que cette politique ne permettait pas de détecter la quasi-totalité des risques d’abus à l’impôt sur les sociétés répertoriés par l’indice.

Les juridictions classées comme « non dommageables » dans le cadre du Plan d’action BEPS 5 de l’OCDE, l’un des quatre piliers clés de l’ensemble de règles mondiales lancées par l’OCDE en 2015 pour lutter contre les abus fiscaux des multinationales, sont responsables de 98 % des risques d’abus à l’impôt sur les sociétés dans le monde. Les juridictions classées comme « dommageables » par l’OCDE représentent à peine 1 %. Les juridictions actuellement passées en revue représentent 1 % supplémentaire.

Du fait de son incapacité à détecter et juguler les pratiques fiscales nuisibles dans ses évaluations, l’Action 5 du Plan d’action BEPS de l’OCDE a, en pratique, normalisé les comportements préjudiciables des paradis fiscaux pour les sociétés.

Dans le cadre de l’Action 5, les systèmes fiscaux des diverses juridictions sont évalués et notés par l’OCDE selon l’aide apportée aux multinationales pour se livrer à des pratiques fiscales dommageables. Selon le site web de l’OCDE, « les membres s’engagent à participer à l’examen par les pairs du Forum sur les pratiques fiscales dommageables de l’OCDE, qui procède à des évaluations des régimes préférentiels depuis sa création en 1998 afin de déterminer si les régimes fiscaux pourraient avoir une incidence défavorable sur l’assiette fiscale d’autres juridictions ».

Le travail actuel du Forum sur les pratiques fiscales dommageables (FHTP) comprend trois domaines clés, présentés en détail sur le site web de l’OCDE :

"Un premier aspect se rapporte à l’évaluation des régimes fiscaux préférentiels afin d’identifier les caractéristiques de ces régimes qui peuvent faciliter l’érosion de la base et le transfert de bénéfices et peuvent donc avoir une incidence défavorable sur l’assiette fiscale d’autres juridictions. Le deuxième domaine inclut l’examen par les pairs et le suivi du cadre de transparence de l’Action 5 par l’échange spontané obligatoire de renseignements pertinents sur les décisions spécifiques aux contribuables qui, lorsqu’elles ne font pas l’objet d’un tel échange de renseignements, pourraient donner lieu à des préoccupations en matière de BEPS. Et le troisième domaine se rapporte à l’examen des exigences d’activité substantielle pour les juridictions qui ne prélèvent pas d’impôt ou qu’un impôt insignifiant, afin d’assurer que ces acteurs œuvrent tous sur un pied d’égalité, lorsque la première évaluation n’est pas applicable."

L’analyse par le Réseau pour la justice fiscale des classements des pratiques fiscales dommageables de l’OCDE s’intéresse uniquement aux premier et troisième domaines d’évaluation, et ce pour deux raisons : premièrement, dans le cadre du deuxième domaine d’évaluation, l’OCDE n’attribue pas de note aux pays. Elle ne leur fournit que des recommandations de mesures complémentaires ou aucune recommandation. Il serait injuste de conclure que les pays ne recevant pas de recommandation sont considérés comme non dommageables par l’OCDE et que ceux qui en reçoivent sont considérés comme dommageables. C’est pourquoi le Réseau pour la justice fiscale n’examine que les notations de la première et de la troisième évaluation où l’OCDE utilise le terme « dommageable ». Deuxièmement, le Réseau pour la justice fiscale considère que les critères utilisés dans le cadre du deuxième domaine d’évaluation sur l’échange d’informations sur les décisions fiscales sont insuffisants pour que l’analyse puisse fournir des informations utiles. 

La liste noire des paradis fiscaux de l’UE ignore les juridictions à l’origine de 98 % de la fraude à l’impôt sur les sociétés dans le monde

Les juridictions inscrites sur la liste noire des paradis fiscaux de l’UE lors du lancement de l’Indice des paradis fiscaux pour les sociétés 2021 affichaient une part CTHI combinée de 1,88 %, ce qui signifie qu’elles n’étaient responsables que de 1,88 % des risques d’abus à l’impôt sur les sociétés dans le monde. À titre de comparaison, les États membres de l’UE étaient quant à eux responsables de 38 % de ces risques.

Le territoire britannique des îles Caïmans, inscrit brièvement sur cette liste noire en 2020 avant d’en être retiré la même année, affiche une part CTHI de 6 % sur l’Indice des paradis fiscaux pour les sociétés 2021. Autrement dit, les îles Caïmans autorisent à elles seules plus de trois fois plus de risques d’abus à l’impôt sur les sociétés que toutes les juridictions de la liste noire des paradis fiscaux de l’UE réunies.

Corriger le problème

La fraude à l’impôt sur les sociétés alimente les inégalités, favorise la corruption et fragilise la démocratie. Pour remédier à cette injustice, nous devons reprogrammer nos systèmes fiscaux et financiers afin de donner un poids égal aux besoins de tous les membres de la société, au lieu d’accorder la priorité aux aspirations des multinationales les plus riches. Lisez notre page de solutions ici pour découvrir comment nous procédons.